« Comment savoir si mon chien est dominant ? »
« Pourquoi mon chien est soumis ? »
« Mon chien me domine »
« Mon chien veut dominer »
…
Qui n’a jamais entendu, lu ou utilisé ces termes vis-à-vis de nos chiens domestiques ?
Et pourtant, la dominance du chien ou son désir de dominance ne recouvre aucune réalité. Le chien ne cherche pas à dominer, il ne le souhaite même pas tant ce serait contraire à ses intérêts.
Bien au contraire, le chien passe beaucoup de temps à éviter les conflits et à tenter de s’adapter à son interlocuteur.
Alors pourquoi ce mythe de la dominance a-t-il la vie si dure ? D’où sort-il et quelles en sont les manifestations ? Qu’y-a-t-il derrière un comportement de « dominance » ?
A l’origine, deux erreurs fondamentales :
Erreur numéro 1 : le loup est un animal dominant ou soumis
Dans la première moitié du 20ème siècle des scientifiques (notamment Schenkel en 1947) ont observé des loups et constaté la dominance d’un couple Alpha auquel le reste de la meute (loups Oméga) était soumise.
Les conclusions qui en ont été tirées étaient schématiquement les suivantes :
- Le loup a une vie sociale basée sur la dominance et la soumission
- Le chien descend du loup dont il serait une sous-espèce
- Le chien est donc susceptible de rechercher à dominer son groupe, comme son ancêtre le loup
Cependant, depuis les années 1980, cette théorie du loup dominant a été largement contredite. En effet, les observations précédentes avaient été réalisées sur des groupes de loups en captivité et donc contraints de cohabiter.
Or, enfermez des animaux de quelque espèce que ce soit (humains inclus) et vous verrez apparaître des comportements de dominance, d’agressivité, de soumission etc.
La réalité qui a depuis été établie est qu’à l’état naturel, les loups forment des familles vivant paisiblement ensemble.
A l’origine il y a un couple reproducteur. Au fil des naissances, des mâles et des femelles viennent agrandir la meute. Lorsqu’ils sont en âge de se reproduire ils quittent le groupe et forment leur propre meute familiale
Rendons honneur à David Melch qui après avoir décrit en 1970 le concept du couple Alpha et de la dominance chez les loups revient sur cette théorie et reconnaît publiquement son erreur en 1999 (sous-titres en français 😃)
Erreur numéro 2 : le chien est une sous-espèce du loup
L’humain descend du singe et plus précisément du chimpanzé avec qui nous partageons un ADN encore très proche.
Pour autant l’humain est-il une sous-espèce du chimpanzé ou une espèce à lui tout seul ?
Les ancêtres lointains du chien étaient certes des loups gris (canis lupus) mais le chien s’est séparé du loup il y a plusieurs milliers d’années. Tout le monde s’accorde sur une séparation datant d’au moins 15 000 ans mais une étude de 2015 va au-delà et démontre une divergence remontant à plus de 27 000 ans.
Le chien est donc une espèce à part entière. Même les chiens féraux, vivant à l’état sauvage, n’appartiennent plus à l’espèce lupine.
Par ailleurs, au fil des évolutions et des sélections, les chiens ont pris une apparence physique complètement différente de celle du loup. Qu’y-at-il de commun entre canis lupus et un petit carlin ?
Et même pour ceux dont l’apparence physique reste proche de celle du loup, les caractéristiques, besoins et compétences sont bien celles du chien et de nulle autre espèce.
Enfin, l’homme a travaillé et sélectionné le chien pour lui faire remplir différentes fonctions utilitaires ou esthétiques. Ce faisant, il en a fait un individu à part entière, souvent artificialisé certes, mais possédant ses caractéristiques propres.
Qu’est-ce que la dominance et pourquoi ce concept est erroné ?
Vouloir dominer consiste à chercher à établir un rapport hiérarchique avec d’autres individus. Rapport dans lequel le dominant aurait le pouvoir suprême sur les autres.
Voyons pourquoi ce concept ne peut s’appliquer aux chiens dans leurs rapports avec les humains et leurs congénères.
Pourquoi le chien ne cherche pas à dominer l’humain ?
On entend encore très souvent parler de « meute » pour désigner le chien et sa famille humaine.
Et de trop nombreux éducateurs ou vétérinaires vous expliquent encore que c’est vous le chef de meute et que vous devez faire respecter ce statut face à votre chien qui n’attend qu’une faille pour vous piquer la place !
Ceci n’a aucun sens.
Une meute est formée d’individus de la même espèce, ce que n’est pas le groupe formé d’humains et d’animaux domestiques.
Au même titre que le lion ne cherchera pas à dominer la gazelle (même s’il l’attaque pour la manger), le chien ne cherchera pas à dominer une chèvre ou un humain
D’autre part, le « chef de meute » est supposé ravitailler son groupe, se reproduire avec les femelles, protéger le territoire, organiser la chasse…
Vous croyez sérieusement que le chien a envie d’endosser ce rôle pour sa famille humaine ?
Humains et chiens sont deux espèces qui cohabitent et ne sont pas en compétition.
Alors le chien qui grogne, qui est possessif, qui chevauche une jambe… ne cherche pas à « dominer » : il manifeste des comportements certes inadaptés mais motivés par un besoin à exprimer, un malaise, un stress ou un message à faire passer.
Pourquoi le chien ne cherche pas à dominer ses congénères ?
Nous avons vu que le dominant établit une hiérarchie parmi les membres de son groupe et qu’il se positionne lui-même au sommet de cette hiérarchie.
Cela suppose un groupe stable et organisé. C’est ainsi qu’il existe une hiérarchie dans l’entreprise avec patrons, cadres et employés. Chacun connaît sa place et il y a effectivement un « dominant » hiérarchique.
Rien de tel dans un groupe de chiens. Même les meutes de chiens errants ou féraux ne répondent pas à ce modèle : les groupes ne sont pas stables, les membres y entrent et en sortent au gré de leurs intérêts et désirs. Les rivalités existent et les conflits sont fréquents notamment autour de la nourriture. Le chien le plus affamé aura le dessus, il ne sera pas pour autant le dominant du groupe. Si cet individu est repus, c’est un de ses congénères qui vaincra dans la bataille pour un bout de viande.
Le chien est un animal social qui aime la paix et tente d’éviter les conflits.
Nos chiens domestiques n’ont pas à se battre pour obtenir ce qui leur est nécessaire : nourriture, abri, interactions leur sont obligeamment fournis par nos soins.
Ils peuvent bien sûr être en compétition entre eux selon les circonstances. Ainsi, 2 chiens peuvent entrer en conflit autour d’une balle ou d’un os.
Mais n’est-ce pas naturel ? Si nous détenons un objet auquel nous accordons de la valeur, nous le défendrons contre une autre personne qui voudrait nous le prendre ! Est-ce de la dominance pour autant ?
Selon la motivation de l’animal, il adopte un comportement de dominance ou de soumission. Mais ce comportement n’est dicté que par les circonstances, il ne correspond pas à la nature intrinsèque du chien.
Pour reprendre l’exemple des chiens errants, celui qui n’a pas mangé depuis une journée sera très motivé par de la nourriture posée près de lui et se montrera agressif à l’encontre du congénère qui s’en approcherai. Si ce dernier n’a pas vraiment faim, il manifestera des signes de soumission pour faire passer le message « je ne veux pas te voler » ou il partira. Il ne sera pas un chien soumis pour autant.
En fonction du contexte et de sa motivation un chien pourra dominer ou au contraire se soumettre.
On le constate tous les jours dans les foyers multi-chiens : Lorsque Snoopy s’approche de Titus qui est sur les genoux de sa propriétaire, Titus grogne puis claque des mâchoires. Mais lorsqu’il s’agit de sortir pour la balade, Snoopy se jette sur Titus pour être le premier à franchir la porte. Question de motivation de chacun…
Alors oui, il existe des chiens qui démontent tous leurs congénères ou qui se montrent ultra possessifs. Ce sont des individus agressifs, réactifs, peureux, jaloux… Leur motivation à chasser l’autre de leur périmètre est toujours plus forte que celle de l’adversaire à y entrer. Cela fait dire aux propriétaires que leur chien est « dominant » alors qu’il a surtout besoin d’être aidé…
Pourquoi ce mythe perdure ?
Cela fait maintenant plus de 50 ans que de nombreuses études sérieuses ont prouvé que la théorie du chien dominant est infondée.
Malgré tout, littérature, articles et certains professionnels animaliers continuent de s’y référer.
Comme dans tout métier, il y a des personnes qui sont campées sur ce qu’elles ont appris et en ont fait des certitudes qu’elles ne cherchent pas à remettre en question.
Pire, elles transmettent à leur tour ces théories aux nouveaux entrants dans leur profession. Ces derniers à leur tour véhiculeront ces pseudo-connaissances et ainsi de suite.
Ces partisans du mythe de la dominance sont aidés par les résultats de leurs pratiques.
En effet, un « professionnel » adepte de cette théorie va souvent employer des méthodes coercitives pour montrer au chien qui est le chef. Le chien doit se soumettre et l’usage de la force est un moyen d’y parvenir.
Et cela fonctionne. Mais pour les mauvaises raisons.
Le chien ne s’assoit pas à la demande parce qu’il est soumis à l’humain « dominant ». Il s’assoit parce qu’il a peur de prendre un coup ou de se faire appuyer brutalement sur la croupe. La nuance peut sembler subtile mais elle est énorme.
Il est plus facile de façonner un chien à sa mesure en employant des méthodes sévères qu’en usant de bienveillance. C’est d’ailleurs pour cela que les vétérinaires et éducateurs partisans des méthodes coercitives traditionnelles tentent de ridiculiser les tenants de l’éducation positive en les faisant passer pour de doux rêveurs.
Pourtant les méthodes dites positives fonctionnent bien mieux que celles fondées sur le concept de la dominance. Certes, les résultats sont un peu plus longs à atteindre mais ils sont plus durables et ne traumatisent jamais le chien.
Si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet, je vous invite à lire l’article Eduquer son chien : point de vue sur 3 méthodes.
Les conséquences de la théorie de la dominance
Ce concept de dominance et les pratiques qu’il entraîne provoque des conséquences désastreuses tant sur les chiens que sur leurs propriétaires.
Conséquences sur les chiens
Ils sont bien sûr les premières victimes de ces pratiques si peu éthiques.
Appliquer des méthodes d’éducation fondées sur l’idée qu’il faut montrer au chien que c’est l’humain qui domine, conduit à fabriquer des animaux souffrant de troubles comportementaux. Ces troubles peuvent être différents suivant les individus concernés et plus ou moins visibles.
Dans la gamme de ces troubles on trouve aux deux extrémités :
- Le chien en état de détresse acquise. Par exemple, le chien qui a peur des humains et que l’on immerge dans une foule jusqu’au moment où il ne manifeste plus de réaction. On peut croire qu’il a « compris ». En réalité, il s’est résigné car il sait que manifester sa panique ne sert à rien. Pour autant sa peur continue d’exister… Ce chien est condamné à souffrir silencieusement. Il peut tomber dans une grave dépression qui fera dire à son propriétaire qu’il a su apaiser son animal 😢
- Le chien ultra réactif. Par exemple, l’animal qui se fait corriger devant d’autres chiens sous prétexte qu’il se montre « dominant ». Il va assimiler les congénères, témoins de sa souffrance à de véritables dangers et les détestera encore davantage quitte à devenir dangereux.
Entre ces deux extrêmes, le chien maltraité (car il s’agit bien de cela) peut développer différents troubles du comportement témoignant d’un stress profond mais souvent invisible et indétecté. Ces troubles seront parfois encore mis sur le compte du chien dominant ou soumis et enclencheront les mauvaises réponses.
Beaucoup de chiens abandonnés ou euthanasiés sont des victimes de l’application de l’idée qu’il faut les mater pour qu’ils ne soient pas dominants.
Mais le chien qui montre un comportement violent et pour lequel on ne fait rien sous prétexte que « c’est normal, c’est un dominant » est une victime. Ses comportements prouvent qu’il a besoin d’aide et cette aide lui est refusée.
Conséquences sur les propriétaires
Le propriétaire qui va consulter un vétérinaire, un comportementaliste ou un éducateur pour avoir des conseils et qui tombe sur un adepte de la théorie de la dominance repart souvent bien malheureux.
En effet, la prescription sera amère :
- Repoussez votre chien s’il veut un câlin. C’est vous qui devez prendre l’initiative (c’est qui l’patron ?)
- Votre chien doit tout faire après vous : manger, passer les portes, descendre l’escalier, etc.
- Attention, si vous laissez votre chien monter sur le lit ou les canapés, il deviendra le chef de la maison
- Si votre animal grogne, n’hésitez pas à le secouer voire à le frapper car il tente de prendre le pouvoir
- A l’extérieur, si votre chien tire sur la laisse, ramenez-le vers vous d’un coup sec. Vous pouvez aussi lui poser un collier étrangleur, il comprendra mieux qui commande
- Etc, etc, etc.
Or, les humains qui souhaitent avoir un chien à leurs côtés désirent une relation faite de complicité et de confiance. Si on les persuade que les pratiques ci-dessus sont bonnes pour ne pas se faire « dominer » par leur chien, ils se sentent obligés de les appliquer, persuadés de bien faire. Au détriment de leur chien, d’eux-mêmes et de la relation qu’ils ont ensemble.
Bien entendu, certaines personnes sont convaincues du caractère dominant ou soumis d’un chien sans pour autant entrer dans un rapport de force avec leur animal. Mais le risque est de surprotéger le chien qualifié de « soumis » et de priver le soi-disant « dominant » d’une vie sociale épanouissante.
En conclusion
Appliquer le qualificatif « dominant » ou « soumis » à son chien c’est lui apposer une étiquette qui le fige dans un rôle.
On peut parler de comportement de dominance ou de soumission à certains moments, selon le contexte. En aucun cas il ne s’agit de traits de caractère.
Et si Snoopy attaque tout ce qui bouge, que Titus se met sur le dos dès qu’un chien approche de lui et que Mickey se détourne quand Goa vient mettre la truffe dans sa gamelle, aucun n’est dominant ni soumis. Le premier peut porter en lui de l’anxiété, de la frustration ou de la colère, le second peut avoir peur et le troisième juger simplement que l’enjeu ne vaut pas la bagarre.
Si Médor grogne sur vous, il ne cherche pas à devenir votre chef. Le comportement peut être préoccupant mais il faut comprendre pourquoi il se produit plutôt que d’ouvrir une case caractérielle pour y ranger le chien.
N’oubliez pas qu’il ne peut y avoir de relation hiérarchique entre deux espèces différentes. Même si l’humain est le principal décideur, le chien le suit car là est son propre intérêt.
Il est plus difficile de comprendre et d’aider que de cataloguer une fois pour toute. Mais c’est indispensable pour le bien être de chacun.